la zone euro a-t-elle un avenir ?

Publié le 9 Décembre 2010

On devrait relire Fernand Braudel.

braudel.jpgCe grand historien des tendances longues nous décrit dans son "Identité de la France" (3 volumes) comment et pourquoi la France a changé. Comment la fin des barrières douanières qui protégeaient les régions (et enrichissaient les seigneurs ou les villes), a favorisé la spécialisation des productions, au profit des plus compétitives. Et comment ainsi ont disparu les cultures viticoles qui couvraient le Nord de la France, et notamment de l'Ile de France, au profit d'un Languedoc infiniment plus productif, en quantité et qualité, grace à son sol et son climat. Et comment toutes les fonderies, et petites usines métallurgiques  qui parsemaient le paysage français, ont disparu au profit des grandes usines du Nord et de l' Est situées à proximité des mines de charbon. Comment les villes et villages qui se sont trouvés à l'écart des nouveaux grands axes routiers et ferroviaires ont dépéri.
Tout accroissement d'un marché entraîne la mort des moins compétitifs.C'est à dire de ceux qui sont moins innovants, ou qui ont un accès plus coûteux aux matières premières, aux transports, à la main d'oeuvre. Si on laisse faire la seule loi du marché, le moins fort disparaît, et les régions qui les abritent s'affaiblissent. C'est le cas des 2/3 du paysage français, le désert français, comme l'a écrit Jean-François Gravier dès 1947 ("Paris et le désert français").
Il en va de même au niveau international. Sauf que la variable monétaire, c'est à dire le cours de change, peut servir de variable d'ajustement. Ce qu'on peut appeler les dévaluations compétitives. Qui vont renchérir le prix des importations et compenser l'avantage apporté par des coûts salariaux faibles. Et baisser le prix de vente export et redonner de la compétitivité.
Instaurer une monnaie unique entre plusieurs nations, c'est s'interdire ces ajustements monétaires.
La création de l'euro a une motivation essentiellement politique : réconcilier les européens avec l'Europe, créer un grand projet à même d'entraîner l'adhésion de millions d'européens plus habitués à s'entretuer qu'a vivre ensemble. Seulement on a oublié, ou voulu oublier, que la monnaie est une résultante; elle est le reflet de la force d'une économie, non un outil pour son renforcement. On a voulu croire que la monnaie unique amènerait un nivellement par le haut des économies. Alors que c'est la force d'une économie qui fait la force de sa monnaie. Imposer à un pays plus faible une monnaie trop forte, n'entraîne pas un renforcement du pays, mais son affaiblissement par la disparition progressive de ses entreprises et par l'apparition de deficit extérieur.
Si l'ajustement par la monnaie n'est pas possible, restent les mesures protectionistes. Toute la période de l'après-guerre, dite des 30 glorieuses, a été un permanent dosage entre les deux, dévaluations compétitives et droits de douane.  En l'absence de l'une et de l'autre, l'ajustement ne peut se faire que par le chômage et l'émigration. Comme la Creuse ou la Lozère sont aujourd'hui des déserts, le risque est grand de voir disparaître des entreprises non compétitives des pays les plus faibles, entraînant les habitants à devoir choisir entre chômage et émigration, et amenant les pays à devenir à leur tour des déserts.
  
Ce danger avait été exprimé en 1999 par un certain nombre d'économistes, notamment américains, certains étant venus en France même exposer leur point de vue. On n'a pas voulu entendre, ce n'était pas l'air du temps, et le coeur a ses raisons que la raison ne veut pas entendre.
Mais il y a un temps pour tout, et le temps d'aujourd'hui est celui du questionnement. Les mauvais augures prévoient l'implosion de l'euro, d'autres imaginent une Europe à deux vitesses, autour d'un noyau dur qui ressemblerait à l'ancienne CEE, élargie peut-être, mais à peine. Les optimistes incorrigibles font comme s'il ne se passait rien. Ils sont de moins en moins nombreux.
Plus personne en tous cas n' envisage d'accroître ni l'UE ni la zone euro. 
Le proverbe le savait pourtant, qui disait qu'il ne faut pas mettre la charrue avant les boeufs. Le volontarisme ne peut pas tout, y compris en économie.

Rédigé par jdio

Publié dans #notre temps

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